DIV YEZH PLOUGASTELL

DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT SUR LES LANGUES REGIONALES

mercredi 7 mai 2008 par Daniel (Prezidant)

Le texte ci dessous est le compte rendu analytique de la séance du mercredi 7 mai 2008 à l’assemblée nationale. Il est issu du site de l’assemblée nationale et consultable sur http://www.assemblee-nationale.fr/13/cri/2007-2008/

DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT SUR LES LANGUES RÉGIONALES ET DÉBAT SUR CETTE DÉCLARATION

L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur les langues régionales et le débat sur cette déclaration.

Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication - En janvier dernier, lors de la révision constitutionnelle qui devait permettre la ratification du traité de Lisbonne, le Gouvernement avait pris l’engagement d’organiser un débat sur les langues régionales de France en réponse à une demande exprimée par nombre d’entre vous. Malgré un ordre du jour particulièrement chargé, cet engagement est aujourd’hui tenu et je m’en félicite.

C’est la première fois depuis le début de la Ve République qu’un gouvernement prend l’initiative d’organiser un débat sur ce sujet. La place des langues régionales dans notre vie culturelle et dans notre société a toujours prêté matière à controverse. Il ne faut ni s’en étonner ni s’en plaindre, car on touche à l’essence de l’identité française et de la nation. Parce qu’elles entretiennent les rapports les plus étroits avec la façon dont nous vivons ensemble, les langues jouent un rôle de catalyseur.

Ce débat est l’occasion de réaffirmer solennellement l’attachement de notre pays à son patrimoine linguistique. Si l’on retient, comme le font les linguistes, l’appellation de « langues de France » pour désigner les langues parlées depuis plusieurs générations par des citoyens français sur le territoire de la République, on ne recense pas moins de 75 langues différentes en France. Nul autre pays ne peut se targuer d’une telle richesse.

Parmi ces langues, les langues régionales ont le privilège d’avoir une assise territoriale depuis plusieurs siècles. Elles font partie intégrante de l’histoire et de la géographie de notre pays. Elles sont notre bien commun, avec le français, et participent à notre richesse et à notre rayonnement. On peut en tirer une légitime fierté.

La diversité de ces langues est le miroir même de la diversité française. Songeons seulement à la si originale langue basque, présente sur notre territoire bien avant le latin et le gaulois. Songeons au breton, venu de Grande-Bretagne au Ve siècle, et qui est la seule langue du groupe celtique encore parlée sur le continent. Songeons aussi au flamand, au francique, à l’alsacien, au corse, à toutes les langues d’oïl et d’oc. Songeons enfin, outre-mer, à ces langues amérindiennes dont l’ancienneté est immémoriale et qui côtoient, en Guyane, un créole en formation depuis seulement quatre cents ans. La France a été façonnée par des hommes et des femmes parlant des langues très diverses, germaniques, celtiques, romanes, et même des langues qui ne sont pas indo-européennes. C’est une réalité qu’on a tendance à oublier ou à occulter : le grand chant national est un chant à plusieurs voix. Ils parlaient provençal et breton, les cinq cents Marseillais et les trois cents Brestois qui ont pris d’assaut les Tuileries, le 10 août 1792, abolissant la monarchie et ouvrant un chemin triomphant à la République !

Avec ses ombres et ses lumières, l’Histoire a fait son œuvre. Notre pays a connu un processus d’unification linguistique sans équivalent dans le monde. Point d’aboutissement, un amendement à la Constitution a fait du français, en 1992, la langue officielle de la République, alors qu’aucun texte ne le prévoyait jusque-là. Deux ans plus tard était adoptée la loi Toubon, relative à l’usage de la langue française. Grâce à ces deux textes, qui offrent les meilleures garanties juridiques, la langue nationale continue à tenir son rôle symbolique dans notre pays, mais aussi sa mission culturelle et son irremplaçable fonction de ferment de la cohésion sociale.

Nous ne sommes plus au temps où les écoliers corses ou alsaciens étaient punis pour avoir prononcé en classe quelques mots dans leur langue. Mais il faut reconnaître que les langues dites régionales ont souffert de ce processus d’unification, parfois proche d’un culte de la langue unique. La généralisation du français dans un pays où la moitié des citoyens ne maîtrisaient pas cette langue, ce beau programme émancipateur cher aux hommes de la Révolution et mis en œuvre par la Troisième République, n’a pas été pour rien dans le lent recul des langues régionales en France.

Moins de 10 % des Français pratiquent aujourd’hui une langue régionale de façon régulière, et les langues de France ne se transmettent plus guère dans le cadre familial. On peut le déplorer, mais c’est un fait. En 1999, seul un Français sur quatre avait reçu de ses parents une langue autre que le français, et un Français sur huit une langue régionale. Au sein de cette minorité, seul un Français sur trois avait à son tour transmis cette langue à ses enfants. Si la pluralité des langues est une réalité objective et constitutive de notre identité, c’est aussi une réalité menacée en France.

Nous avons pris conscience de cette menace depuis plusieurs décennies, et nous portons aujourd’hui un regard nouveau sur la pluralité culturelle dont est pétrie l’identité française. Pourquoi l’apprentissage du français supposerait-il de désapprendre d’autres langues ? Et à quel titre la langue commune devrait-elle être la langue unique des Français ? L’heure est au pluralisme. En matière de langage, la société française se transforme à vive allure, dans ses pratiques comme dans ses représentations. La demande sociale, dont beaucoup d’entre vous se font l’écho, ne saurait être sous-estimée.

Le patrimoine immatériel, la force vivante mais menacée que sont les langues de France, exigent un effort de sauvegarde et de valorisation. C’est le rôle des pouvoirs publics que de le conduire, et le Gouvernement s’y engage. L’effort doit principalement porter sur l’enseignement, les médias et l’action culturelle, qui sont les principaux vecteurs de vitalité et les meilleures garanties d’avenir pour des langues dont la transmission n’est quasiment plus assurée sur le mode traditionnel, c’est-à-dire par l’intermédiaire de la famille et du milieu d’origine.

Comme mon collègue Xavier Darcos pourrait le confirmer, les langues régionales ont toute leur place dans notre système éducatif. Selon une enquête réalisée par la direction générale de l’enseignement scolaire, 404 000 élèves ont reçu en 2005 et 2006 un enseignement de langue régionale. Ces effectifs ont augmenté de façon spectaculaire, puisqu’ils ont décuplé en quinze ans et triplé au cours des cinq dernières années.

M. François Goulard - C’est un signe !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture - Il y a en effet une réelle attente des familles et des plus jeunes. Dans le premier degré, près de 9 000 professeurs ont dispensé un enseignement en basque, breton, catalan, corse, créole, alsacien, francique mosellan, langues d’oc, ou encore tahitien. Des CAPES ont été créés pour le second degré, où 621 professeurs se consacrent à temps partiel ou à plein temps à l’enseignement des langues régionales. Tous ces personnels bénéficient d’un accompagnement, essentiellement sous forme d’actions de formation.

L’enseignement des langues et cultures régionales peut prendre deux formes différentes : des cours centrés sur l’apprentissage de la langue elle-même, ou bien une filière bilingue spécifique, où les cours sont dispensés pour moitié dans la langue régionale et pour moitié en français.

La loi d’orientation et de programme du 23 avril 2005, dite loi « Fillon », précise par ailleurs que le développement et la valorisation des langues régionales doivent s’inscrire dans le cadre d’un partenariat étroit avec les collectivités territoriales sous forme de conventions. Il faut saluer l’implication de plus en plus forte des collectivités, qui ont contribué pour plus de trois millions d’euros à des actions de diffusion et d’enseignement en 2005-2006.

Présentes dans les cursus scolaires, les langues régionales le sont aussi dans les médias. Le Gouvernement veille à ce qu’aucun règlement n’entrave la libre expression des langues régionales, et les publications écrites peuvent également obtenir un agrément auprès de la commission paritaire des publications et agences de presse, afin de bénéficier d’allégements fiscaux et postaux. Depuis 2004, le système d’aide à la presse hebdomadaire régionale, jusque-là réservé aux publications en langue française, a en outre été étendu aux « langues régionales en usage en France ».

Dans le domaine de l’audiovisuel, la loi du 1er août 2000 relative à la liberté de communication précise que les sociétés chargées de missions de service public doivent mettre en valeur le patrimoine culturel et linguistique dans sa diversité régionale et locale. Les cahiers des charges de Radio France, de RFO et de France 3 prévoient ainsi que ces sociétés contribuent à l’expression des langues régionales.

Plusieurs députés du groupe UMP - Il reste des progrès à faire !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture - Chaque jour, plusieurs centaines de programmes sont diffusés sur le territoire français dans une dizaine de langues régionales, notamment outre-mer. La présence des langues régionales peut aller de quelques minutes à plusieurs heures par jour, selon les langues, les chaînes ou les stations et selon le type de média. Toutefois, comme le Président de la République l’a indiqué, le temps accordé aux langues régionales dans l’audiovisuel public reste trop faible. C’est d’ailleurs une des principales doléances dont on vous fait part. Pour ma part, je veillerai à ce que les obligations du service public soient honorées. Le rattachement de la direction des médias à mon département devrait aller dans ce sens.

La création d’une délégation générale à la langue française et aux langues de France, en 2001, témoigne de notre volonté de mener durablement une politique équilibrée, tenant compte de la pluralité des langues parlées sur notre territoire. L’ancrage de notre politique linguistique au sein même de notre politique culturelle invite d’ailleurs à considérer les langues non pas comme de simples outils de communication, mais comme la source d’inspiration d’œuvres de l’esprit. C’est pourquoi l’État soutient des œuvres qui, loin de tout folklore, consolident la place des langues de France dans notre paysage culturel.

Le livre est évidemment le principal support de diffusion culturelle. En aidant l’édition et la traduction d’ouvrages en langues régionales, le ministère de la culture contribue à diffuser des littératures encore méconnues et des œuvres majeures de notre patrimoine. Autres modes d’expression privilégiés : le théâtre et la chanson - je songe par exemple au Théâtre de la Rampe, une scène occitane très dynamique, ou au succès du site internet « Langues de France en chansons ». Dans dix jours, la « Nuit des musées » s’ouvrira pour la première fois aux langues régionales, de l’Alsace au Pays basque et au Midi, et permettra au public de mieux prendre la mesure de notre diversité linguistique qu’illustrent également de très nombreux festivals où émergent de nouveaux talents. Je pense en particulier à « Vibrations caraïbes » et « Influences caraïbes », où s’exprime la créativité des artistes créoles de France. Enfin, n’oublions pas le cinéma : Sempre vivu, de Robin Renucci, a été partiellement réalisé en langue corse, et un film récemment plébiscité par le public a témoigné de l’attachement de nos concitoyens aux langues régionales - car chacun le sait, le ch’ti est du picard !

J’attache une importance particulière à la recherche dans le domaine des langues régionales. Le CNRS participe ainsi à la publication d’un catalogue unique de fonds sonores en langues de France sur le site « Corpus de la parole ».

La transmission des langues régionales s’appuie sur l’école, sur les médias et sur la création artistique. Pour autant, leur vitalité ne peut durer que si elles sont employées dans la vie quotidienne. À ce titre, leur usage dans l’espace public ne doit pas être négligé. La législation actuelle, bien que contraignante, leur offre une large visibilité - et toutes les possibilités ne sont pas pleinement exploitées. Ainsi, les actes officiels des collectivités territoriales peuvent être publiés en langue régionale - pourvu qu’ils soient traduits du français, seule langue ayant valeur juridique. De même, il est parfaitement légitime que les communes affichent leur toponyme en deux langues à l’entrée et à la sortie de leur territoire, ou que la signalisation routière soit bilingue. Qu’y a-t-il de choquant à s’orienter grâce à des panneaux bilingues en Bretagne ou, dans ma ville de Toulouse, à lire le nom de la Place du Capitole en occitan ? Dans tous ces domaines, la France a nettement dépassé les objectifs énoncés dans la Charte européenne des langues régionales, signée par le Gouvernement en 1999 mais non encore ratifiée, pour les raisons que vous savez et sur lesquelles nous reviendrons.

L’État ne peut pas être le seul à valoriser les langues régionales. L’avenir de celles-ci appartient d’abord aux citoyens : libre à eux d’exprimer sous quel régime linguistique ils entendent vivre. Aujourd’hui, une grande majorité de Français semblent souhaiter la reconnaissance des langues régionales et leur coexistence dans le cadre d’un plurilinguisme interne. Encore faut-il que les pouvoirs publics organisent les conditions de ce plurilinguisme. Les collectivités territoriales doivent être associées à cet effort. Elles peuvent d’ores et déjà signer avec l’État des conventions en matière d’enseignement, ou avec des instances de promotion des langues telles que l’Office de la langue bretonne...

M. François Goulard - Un instrument remarquable !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture - ...l’Office public de la langue basque, ou encore l’Académie des langues kanaques et le Centre interrégional de développement de l’occitan.

Au cours de son histoire, le français n’a cessé de s’enrichir au contact des autres langues de France avec lesquelles il a échangé des milliers de vocables. Notre politique linguistique autorise désormais la France à se prononcer en faveur du plurilinguisme à l’échelle européenne. Les langues régionales, en effet, sont une mise à l’épreuve concrète de la démocratie culturelle. Elles sont le laboratoire où nous pouvons nous penser tels que nous sommes et accepter, dans toutes ses implications, la diversité culturelle d’une France politiquement unie.

Nous nous sommes parfois opposés, dans cet hémicycle, quant à la place des langues régionales dans notre société. Ce débat traverse d’ailleurs l’ensemble des familles politiques, car la langue est une composante essentielle de notre identité, qui touche au plus intime de nos convictions. J’espère qu’il sera conduit avec sérénité, et dans le respect des sensibilités de chacun (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

M. Michel Vaxès - Que ce débat, trop longtemps repoussé, ait enfin lieu, témoigne du succès de celles et ceux qui, pendant des décennies, ont résisté à une conception réductrice des questions linguistiques. À un modèle social marqué par la domination et la hiérarchisation, ils préfèrent la solidarité, le partage, la tolérance.

Voilà qui témoigne d’une opinion de plus en plus répandue, selon laquelle l’universalité de la culture n’est pas contradictoire avec la diversité de ses sources et la spécificité de ceux dont elle est l’expression. Le refus grandissant de toute hiérarchie normative a renforcé l’exigence d’une création diverse, miroir des savoirs et des expériences de chacun. C’est ainsi que, sans la moindre polémique, la délégation générale à la langue française est devenue, en 2002, la délégation générale à la langue française et aux langues de France.

Le débat sur ces langues, leur reconnaissance et leur place dans la République doit être abordé sereinement. Le plurilinguisme est une expression de la richesse humaine, et notre diversité linguistique est un atout qu’il faut non seulement défendre, mais aussi exploiter dans l’espace privé comme dans l’espace public.

Au-delà d’une nécessaire modification constitutionnelle, il faudra donc donner un statut législatif aux langues de France. À défaut, nous menacerions une part de notre patrimoine culturel. Voilà bien longtemps que les parlementaires communistes réclament une loi, qu’ils ont proposée en 1986 puis en 1988, à l’initiative de M. Hermier. Hélas, l’interprétation que le Conseil constitutionnel a donnée de l’alinéa de la Constitution adopté le 25 juin 1992, interdit l’examen de nos propositions.

Aujourd’hui, nous en sommes donc à débattre encore de certaines questions qui devraient être résolues depuis longtemps : le dynamisme de notre héritage culturel, les évidents bienfaits cognitifs et pédagogiques du bilinguisme, l’utilité de la langue du terroir pour comprendre un milieu local et même la langue française elle-même, l’ouverture qu’offrent nos langues régionales à des espaces culturels voisins, l’indispensable tolérance à adopter face à une telle diversité, et enfin la contradiction qu’il y aurait pour la France à militer en faveur du respect de la diversité culturelle dans le monde tout en la refusant sur son propre territoire. Hélas, au nom de présumés risques identitaires, toute discussion sur la reconnaissance des langues régionales a été rejetée. Ce rejet était pourtant lui-même un repli, qui portait les mêmes risques que celui que l’on cherchait à éviter !

M. Marc Le Fur - Très bien !

M. Michel Vaxès - Le moment est venu de consentir un effort national de reconquête qui permettra de relancer l’essor culturel de la France.

La pluralité linguistique française existe depuis les origines de notre pays, lorsque les rois de France annexèrent des territoires voisins. L’indispensable diffusion d’une langue commune en a imposé l’usage exclusif dans l’espace public, les autres étant confinées à l’espace privé. Cette idée, apparemment logique mais, au fond, biaisée, a servi à justifier le rejet ancien de tout ce qui n’est pas français - un rejet qui est à lier au mépris du parler des gens de peu. Jadis, même ainsi confinées, les langues régionales pouvaient encore être transmises, mais ce n’est plus le cas dans l’Europe d’aujourd’hui. Nos voisins l’ont d’ailleurs bien compris, qui autorisent la présence de langues régionales à l’école ou dans les médias. Quand délaisserons-nous enfin le mythe d’une société monolithique où toute différence est jugée comme une déviance ? Ce mépris séculaire a provoqué le déclin des langues de France et le reniement par les locuteurs concernés d’une partie de leur identité. Pourtant, la cohésion nationale n’en a pas été renforcée : chacun sait que les conflits sociaux sont toujours d’ordre économique ou politique, jamais linguistique.

Quand comprendrons-nous que c’est la solidarité et le respect des autres qui créent la cohésion du corps social ? Quand admettrons-nous qu’il est urgent d’encourager le respect de la diversité des langues et l’échange culturel ? La cohésion nationale repose à la fois sur la coexistence des expressions les plus diverses et sur l’adhésion de tous à un projet collectif - adhésion qui, en retour, suppose l’acceptation par la collectivité nationale de ses héritages linguistiques et culturels les plus variés.

Ainsi, l’école et les médias doivent prendre acte de l’existence des langues de France, afin de leur confier une part d’universalité. À ce titre, la loi Deixonne de 1951, issue d’une proposition de M. Tourné et de deux propositions communistes de 1948 sur le breton et le catalan, fut un progrès incontestable, puisqu’elle reconnaissait la valeur de certaines langues régionales et organisait leur enseignement. Elle était pourtant trop restrictive, puisqu’elle ne concernait que le catalan, l’occitan, le basque et le breton, auxquels ont été justement ajoutés depuis le corse, l’alsacien et les créoles.

Il faut désormais reconnaître toutes ces cultures régionales et fournir un important effort de revitalisation. L’État doit être le garant des langues de France et de leur statut, et l’acteur de cette reconnaissance. Il doit assumer ses responsabilités en direction des médias et des institutions culturelles comme dans le domaine de l’enseignement. À côté de l’État, les autres collectivités territoriales ont leur rôle à jouer dans l’accompagnement de la politique générale concernant les langues de France. Cela implique la mobilisation de ressources financières complémentaires, l’aide à la création, et d’une manière générale, tout ce qui concerne l’expression à l’échelle locale de la spécificité linguistique et culturelle.

Les institutions européennes sont elles aussi concernées. D’abord, parce que certaines langues de France sont aussi transfrontalières ; ensuite, parce que la question des langues régionales se pose maintenant à l’échelle européenne. Au niveau mondial, les recommandations de l’ONU en matière de droits de l’homme et celles de l’UNESCO en matière de préservation de la diversité linguistique et culturelle doivent être prises en compte dans l’élaboration de la loi.

Les parlementaires communistes soutiennent des propositions élaborées avec les associations qui militent pour la reconnaissance de la diversité linguistique et culturelle dans notre patrimoine national.

S’il n’est guère pertinent de revendiquer une parité absolue entre le français et les autres langues, ces dernières doivent avoir une place dans l’espace public qui leur permette d’être visibles et audibles. C’est la condition première de leur pratique. Si l’accès aux langues régionales à l’école doit continuer à relever du libre choix, être « facultatif, optionnel mais de droit », disions nous dans notre proposition de 1988, l’institution a l’obligation de rendre ce choix effectivement possible, par une offre généralisée, partout où l’une de ces langues est pratiquée, partout où une demande significative se manifeste.

Plusieurs députés du groupe UMP - Très bien !

M. Michel Vaxès - Cela implique une information complète et précise de toutes les familles ; une véritable politique de recrutement d’enseignants de la maternelle à l’Université ; le développement des filières bilingues à parité horaire et de l’enseignement par immersion dans l’Éducation nationale comme dans le secteur associatif pour les familles qui le souhaiteraient ; une valorisation au niveau des examens et concours par l’ouverture d’épreuves bénéficiant de coefficients incitatifs ; une vraie place pour les langues régionales dans l’enseignement supérieur et les grands organismes de recherche ; un développement de l’enseignement pour adultes, qui correspond à une demande et peut fournir des compétences professionnellement utiles. Enfin, une information minimale sur l’existence des langues et cultures régionales doit être offerte sur l’ensemble du territoire et intégrée dès le socle commun aux programmes de l’Éducation nationale.

Si certains cahiers des charges de radios ou télévisions publiques prévoient - vous l’avez rappelé Madame la ministre - la prise en compte des cultures régionales, dans la réalité, celles-ci sont souvent cantonnées à la seule dimension folklorique. Les grands réseaux nationaux - et pas seulement France 3 - doivent mettre plus de moyens et d’horaires à la disposition des producteurs d’émissions en langues régionales. La création de chaînes de télévision publiques propres aux diverses langues régionales répondrait à la revendication commune des associations les plus représentatives de chacune de ces langues. Au moment ou les radios associatives émettant en langue régionale risquent de voir leur financement asséché par la fin annoncée de la publicité - dont une partie des recettes leur était destinée - il convient que des financements publics nouveaux leur soient alloués. La création en langue régionale doit être soutenue par une aide accrue du ministère de la culture, en partenariat avec les collectivités locales, afin de favoriser le contact et l’échange entre les créations et les grands lieux d’affichage culturel que sont par exemple les diverses manifestations nationales et régionales. Cette ouverture serait le meilleur moyen de lutter contre la ghettoïsation de ces langues et des cultures dont elles sont porteuses.

La mise en place d’une politique ambitieuse permettant à la nation de reconnaître la diversité de ses pratiques linguistiques doit s’accompagner de la création d’instances de contrôle indépendantes chargées de faire respecter la loi, de suivre l’évolution de sa mise en œuvre et d’évaluer les effets des mesures prises. Ses observations devraient faire l’objet d’un rapport annuel devant la représentation nationale.

La cohésion sociale, garante de l’unité républicaine, suppose que notre République accueille enfin la diversité comme une richesse à partager entre tous. L’année 2008 est « l’année internationales des langues », dit l’Unesco ; profitons-en pour prolonger ce débat par l’élaboration d’une loi sans laquelle nos échanges d’aujourd’hui ne seraient que bavardages stériles. Une loi qui donne enfin aux langues de France leur vraie place dans la nation. Voilà ce que nous réclamons ! Et j’invite ceux qui ne seraient pas encore convaincus à méditer cet extrait d’un discours sur le colonialisme prononcé le 26 février 1986 par Aimé Césaire aux États-Unis : « La négritude a été une révolte contre ce que j’appellerai le réductionnisme européen. Je veux parler de ce système de pensée ou plutôt de l’instinctive tendance d’une civilisation éminente et prestigieuse à abuser de son prestige même, pour faire le vide autour d’elle en ramenant abusivement la notion d’universel, chère à Léopold Sédar Senghor, à ses propres dimensions...

M. le Président - Il faut conclure.

M. Michel Vaxès - ... autrement dit à penser l’universel à partir de ses seuls postulats et à travers ses catégories propres. On voit les conséquences que cela entraîne. Couper l’homme de lui-même, couper l’homme de ses racines, couper l’homme de l’univers, couper l’homme de l’humain et l’isoler en définitive dans un orgueil suicidaire sinon dans une forme rationnelle et scientifique de la barbarie ». Je voulais rendre cet ultime hommage à Aimé Césaire (Applaudissements sur presque tous les bancs).

M. Michel Hunault - Je me félicite à mon tour, au nom de mes collègues du Nouveau Centre, de l’inscription à l’ordre du jour de cette déclaration du Gouvernement sur les langues régionales, suivie d’un débat. C’est une occasion rare, qui suscite beaucoup d’espoir pour tous ceux qui souhaitent la reconnaissance des langues régionales en France.

Disons-le très directement : organiser ce débat n’est pas contradictoire avec l’exigence de la maîtrise de la langue française posée par le ministre de l’Éducation nationale, non plus qu’avec l’enseignement des langues étrangères, indispensables dans le contexte de la mondialisation. Je tiens par ailleurs à saluer l’immense travail des hommes et des femmes engagés dans la francophonie, qui font que la langue française, support de notre culture, est véhiculée partout dans le monde.

Pour autant, les langues régionales sont indissociables de nos régions. Vous l’avez du reste rappelé à l’instant, Madame la ministre, « les langues régionales font partie intégrante de notre pays ».

Le Conseil de l’Europe, cette grande et vieille institution créée au lendemain de la dernière guerre, symbole de la démocratie et des droits de l’homme et porteuse d’un idéal, a adopté la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Pourquoi ? L’assemblée de Strasbourg considère à juste raison que la protection des langues régionales ou minoritaires historiques de l’Europe contribue à maintenir et développer les traditions et la richesse culturelle du continent.

M. Daniel Mach - Très bien !

M. Michel Hunault - Il est urgent de s’en soucier, car certaines langues risquent de disparaître au fil du temps. Elles sont aujourd’hui menacées, vous l’avez dit Madame la ministre.

Que dit la Charte ? Elle considère que la pratique d’une langue régionale est un droit, et précise - ce qui est essentiel pour notre débat - que la protection des langues régionales ou minoritaires ne doit pas se faire au détriment des langues officielles. Là-dessus, nous pouvons tous nous rassembler. Le Président de la République, alors qu’il était candidat à l’élection suprême, déclarait le 9 mars 2007 : « Le patrimoine linguistique de la France, ce n’est pas seulement le français ; c’est aussi l’extraordinaire richesse de ses langues régionales ! Je souhaite que leur enseignement soit pris en charge par l’Éducation nationale, que l’on soutienne leur pratique et leur diffusion ». Et de préciser : « Refusons la logique de confrontation avec le français, élément de l’unité française que nous avons mis si longtemps à construire et qui reste le bien le plus précieux - mais aussi le plus fragile - que nous ayons à léguer à nos enfants ». Cette position, je la fais mienne !

Être favorable aux langues régionales soulève nécessairement la question de la Charte européenne. Sa ratification - vous l’avez rappelé Madame la ministre - nécessiterait de compléter l’article 2 de notre Constitution. Il faut s’interroger néanmoins sur les conséquences d’une telle révision : à titre personnel, je ne pense pas qu’il soit souhaitable de donner à un juge européen les moyens de se prononcer sur un élément fondateur de notre pacte républicain.

Mais le présent débat montre que l’on peut dès aujourd’hui tout mettre en œuvre pour reconnaître, transmettre et pérenniser la connaissance et l’enseignement des langues régionales. Faisons en sorte d’atteindre les objectifs applicables à l’ensemble des langues régionales et minoritaires tels qu’ils figurent dans la Charte. Quels sont-ils ? La reconnaissance des langues régionales en tant qu’expression de la richesse culturelle ; la nécessité d’une action résolue de promotion des langues régionales afin de les sauvegarder - et vous avez cité, Madame la ministre, un certain nombre d’actions concrètes qui vont déjà dans ce sens grâce à l’appui des collectivités territoriales ; des moyens d’enseignement et d’étude des langues régionales ; la promotion de la recherche sur les langues régionales dans les universités.

Je m’attarde sur la question de l’enseignement. À l’heure actuelle, la demande d’enseignement des langues régionales n’est pas considérée par l’administration comme un droit, mais comme une possibilité que l’on accorde en fonction des disponibilités en enseignants. C’est une question sensible, et pas seulement en Bretagne ! Il faut améliorer les conventions entre l’État et certaines écoles bilingues, en prévoyant de prendre en charge les enseignants.

Notre collègue Vaxès demandait à l’instant que l’on vote une loi pour prolonger ce débat. Plus modestement, je suggère que sous votre autorité, Madame la ministre, et celle de votre collègue de l’Éducation, une table ronde associe les parlementaires pour fixer des objectifs et dégager des moyens humains, en vue de faciliter - à titre facultatif - l’enseignement des langues régionales. Elles ont en effet toute leur place dans notre système éducatif (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

Le débat qui a lieu cet après-midi dans cet hémicycle, symbole de la démocratie et de l’unité de la nation, n’est pas anachronique. Dans une économie mondialisée, démontrons que l’exigence de la maîtrise du français et d’une ou plusieurs langues étrangères n’est pas contradictoire avec la sauvegarde de nos racines et de notre identité culturelles.

Vous avez cité, Madame la ministre, l’office de la langue bretonne : je souhaite, à l’occasion de ce débat, que l’on rende hommage à tous ceux qui contribuent - souvent au sein d’associations bénévoles - à pérenniser des langues qui sont parties intégrantes de notre identité et de notre culture (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et du groupe UMP).

M. Marc Le Fur - Pour la première fois dans cet hémicycle, nous consacrons un débat aux langues régionales. Hommage en soit rendu au Premier ministre, qui en avait pris l’engagement. Jusqu’à présent, nous n’avions abordé le sujet qu’au détour de divers textes ; aujourd’hui, nous abordons de front la question des langues de métropole et d’outre-mer - notre bien commun, comme l’a dit Mme la ministre.

Ce ne doit pas être un aboutissement, mais un commencement. Beaucoup de mes collègues UMP auraient aimé s’exprimer et ne pourront pas le faire - je pense notamment à Daniel Poulou, Jean Grenet, Christian Ménard, Jacques Le Nay ou Gabrielle Louis-Carabin. Ce débat passionnant touche en effet les esprits et les cœurs de chacun d’entre nous ; pour ma part, j’ai eu la chance d’apprendre le breton enfant, et plus tard j’ai découvert le gallo.

Mais pour éviter que ce débat devienne passionnel, nous devons combattre l’ignorance, l’arrogance de certains et les idées reçues. La première, c’est que nous ne serions qu’une minorité à nous intéresser à ces questions. Je rends hommage à tous ceux qui s’investissent depuis longtemps et ont été parfois moqués, voire insultés. Au-delà des locuteurs, il y a tous ceux qui s’intéressent aux langues parce qu’elles sont un élément d’identité ; les diasporas de nos régions y sont souvent particulièrement attachés. Bienvenue chez les Ch’tis est un phénomène plus sociologique que cinématographique : il montre que les gens ont besoin de racines.

Nous devons aussi combattre l’idée que les langues ne seraient qu’une survivance, une affaire de vieux : il suffit d’aller dans les fest-noz, d’écouter la musique celtique pour comprendre que les langues sont bien souvent un élément de modernité.

Quant à l’idée que les langues seraient un instrument de repli, elle ne tient pas davantage : ce sont souvent les régions les plus identitaires qui sont le plus à l’aise dans la mondialisation : comme si pour aller loin, il fallait un port d’attache. Il faut en finir avec un jacobinisme anachronique et outrancier que l’on rencontre dans toutes les familles politiques - chacun a son Mélenchon...

M. Philippe Martin - Hélas non !

M. Marc Le Fur - Alors, que peut-on faire de concret ? D’abord, comme nous le disait hier David Grosclaude, il y a l’enseignement, de la crèche à l’université ; mais il y a aussi les médias - et pas seulement FR3 - et Internet, à propos duquel je salue le combat de Christian Ménard. Nous voulons aussi qu’on aille plus loin en matière de signalétique.

Nous devons être très ambitieux - car nos idées passeront au laminoir - et nous inspirer de l’idée du Général de Gaulle en 1969 : ne redoutons pas nos différences, mais au contraire sachons nous en enrichir. Et au-delà de la Charte que nous devons évidemment adopter à l’instar des autres pays européens, faisons notre travail de législateurs : j’espère, Madame la ministre, que vous allez nous annoncer une loi qui sera l’aboutissement de la promesse faite par le candidat Sarkozy et qui traitera à la fois de principes, de questions concrètes, de méthode et de moyens. Je souhaite que nous puissions en débattre en 2009.

Le mot « égalité » qui figure dans notre devise républicaine ne veut pas dire « uniformité » : l’unité peut se concilier avec l’altérité, nous ne sommes pas des clones les uns des autres ! Sachons nous enrichir de nos différences, et j’espère que ce débat y contribuera (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Françoise Olivier-Coupeau - En tant que présidente du groupe d’études sur les langues régionales, je me réjouis beaucoup de l’organisation ce débat. Il est grand temps, en effet, que la représentation nationale puisse débattre sereinement de cette question. Nous devons tordre le cou aux idées préconçues afin de vaincre la frilosité de nos institutions et de convaincre le gouvernement qu’il convient de considérer notre revendication comme une source de richesse pour la Nation et non comme une menace pour la République ou la manifestation d’un combat d’arrière-garde.

Néanmoins, permettez-moi de déplorer la programmation d’un débat d’une telle importance un 7 mai en fin de journée, à la veille de commémorations nécessitant la présence des parlementaires dans leur circonscription.

Depuis des dizaines d’années, les organismes internationaux et européens n’ont cessé de développer une approche valorisant la langue et la culture comme éléments du patrimoine de l’humanité. Le plurilinguisme est considéré pour eux comme un trésor qu’il faut faire vivre et progresser. Mais la France, qui a la chance de posséder 75 langues régionales, les laisse peu à peu s’éteindre ; elle n’adopte pas la politique linguistique volontariste et le dispositif législatif spécifique qui seraient nécessaires à leur survie.

Je suis attachée à l’unité de la République et à la suprématie du français, garant de la cohésion nationale. Oui, la reconnaissance de nos héritages culturels et linguistiques doit réfuter toute forme de communautarisme. Mais l’égalité n’est pas l’uniformité. Se sentir profondément Bourguignon, Provençal ou Corse n’empêche pas d’être Français ; parler, chanter en breton, alsacien ou basque n’empêche pas d’être patriote ! Affirmer son identité culturelle ne doit pas être considéré comme un refus des valeurs de la République ; vouloir parler sa langue ancestrale ne témoigne pas d’un repli identitaire. Il s’agit au contraire d’y puiser, pour le compte de tous, une force supplémentaire dans un contexte de mondialisation.

La non-reconnaissance de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires par la France, basée sur une interprétation contestable d’une décision du Conseil Constitutionnel, n’aboutit qu’à une uniformisation factice de l’identité française. Dans toute l’Europe s’épanouissent les langues régionales, que ce soit en Italie, en Espagne, aux Pays-Bas ; 40 millions de citoyens européens utilisent régulièrement une langue régionale ou minoritaire, transmise de génération en génération, sans que l’affirmation de leur différence pose un problème particulier. Il est grand temps que notre pays, patrie des Droits de l’Homme, fasse droit à la diversité, à l’histoire et à l’avenir.

Tel est le sens de la proposition de loi que nous avons déposée, visant à compléter l’article 2 de la Constitution en précisant que « la langue de la République est le français, dans le respect des langues régionales qui font partie de notre patrimoine ».

M. Paul Giacobbi - Très bien !

Mme Françoise Olivier-Coupeau - Cette phrase résume parfaitement la finalité que nous donnons à ce débat (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Je tiens à apporter mon total soutien à tous les collègues ici présents. J’ai mesuré au cours des réunions préparatoires la détermination et la qualité des arguments de tous ceux qui estiment qu’un plus grand respect des langues régionales serait un enrichissement pour nous tous.

À quoi ce débat doit-il aboutir ? Il y a trois hypothèses : ratification de la Charte, vote d’une loi, mention dans la Constitution du respect dû aux langues régionales.

Notre histoire est encore profondément marquée par l’idée que l’on est citoyen au moyen de la maîtrise d’une langue, aux dépens des autres. La crainte que les langues régionales fragilisent l’identité nationale demeure bien présente chez certains. Pourtant, la participation de la France à l’Union européenne a entraîné une évolution de notre conception de l’État-nation. Il en va de même des grandes lois de décentralisation. Les citoyens français ont découvert que d’autres pays européens avaient réussi à concilier remarquablement valorisation des cultures et des langues régionales et maintien d’une identité nationale. Et comme l’a dit l’un de nos collègues, la vitalité de certaines régions n’est-elle pas due pour une part aux repères que donne la culture régionale, qui facilite le développement économique ?

Progressivement, la France a pris conscience de la richesse de son patrimoine linguistique et de la créativité des expressions artistiques. Aimer la langue de sa région et vouloir la transmettre, ce n’est pas trahir la France, mais l’enrichir. Dès lors, comment lever les obstacles à l’utilisation, l’enseignement et la diffusion des langues régionales ? Je regrette profondément que le projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations - que la commission des affaires culturelles étudiera la semaine prochaine - n’ait pas retenu l’article 5 de la directive européenne, qui porte sur l’action positive et précise que, « pour assurer la pleine égalité dans la pratique, le principe de l’égalité de traitement n’empêche pas un État membre de maintenir ou d’adopter des mesures spécifiques destinées à prévenir ou à compenser des désavantages liés à la race ou à l’origine ethnique ». Peut-être la CMP permettra-t-elle de réparer cet oubli ? C’est en tout cas dans cette voie que nous devons progresser afin de renforcer la cohésion sociale en France, comme le montre l’expérience d’autres grands pays.

La ratification de la charte des langues régionales pourrait le permettre, à condition d’apporter à la Constitution la légère modification évoquée tout à l’heure - « la langue de la République est le français, dans le respect des langues régionales, qui font partie de notre patrimoine », on éviterait ainsi une nouvelle censure du Conseil constitutionnel.

Mme Marylise Lebranchu - Très bien !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission - En outre - M. Le Fur l’a rappelé -, en manifestant son attachement aux langues régionales, l’État se ferait l’écho de la déclaration de Nicolas Sarkozy le 9 mars 2007 : « Une grande patrie est faite d’une multitude de petites patries, unies par une formidable volonté de vivre ensemble ».

Madame la ministre, l’occasion vous est donc offerte de témoigner de cet attachement. J’espère qu’en nous répondant, vous vous prononcerez sur la ratification de la charte, moyennant la légère modification déjà mentionnée, et sur l’adoption d’une nouvelle loi propre à satisfaire les aspirations de nos régions (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur de nombreux bancs du groupe SRC).

M. André Schneider - Nous vivons un moment historique...

M. Frédéric Reiss - Tout à fait !

M. André Schneider - Au terme de plusieurs décennies de tergiversations, cet hémicycle accueille pour la première fois un débat sur les langues régionales, auxquelles - j’en suis sûr - tous ici sont profondément attachés. Cela honore le Président de la République, qui, une fois de plus, tient ses promesses de candidat ; cela honore le Gouvernement, Madame la ministre ; cela, enfin, honore notre Assemblée, Monsieur le Président. Je tiens à préciser que je m’exprime au nom de tous les députés alsaciens de la majorité.

La France est riche de ses diversités historiques, culturelles, géographiques, gastronomiques et linguistiques, qui constituent un formidable patchwork, un camaïeu scintillant de richesses - en somme, un patrimoine. Vivant témoignage de l’histoire de France, notre diversité linguistique en constitue l’un des éléments les plus beaux, les plus magiques. Par exemple, le nom de Strasbourg, ville dont je suis député, signifie à peu près « la croisée des routes ». Et - si l’on m’autorise une précision quelque peu chauvine - c’est à Strasbourg qu’a été rédigé, en 842, le premier texte en langue française, le serment de Strasbourg, lors du partage de l’empire de Charlemagne.

M. Paul Giacobbi - Absolument !

M. André Schneider - Oui, mes chers collègues, notre diversité linguistique est l’un des atouts les plus précieux de notre patrimoine ; loin de porter préjudice à l’unité nationale, elle en constitue le ciment. Permettez donc à l’ancien professeur de français et militant convaincu de la francophonie que je suis, de plaider avec force pour la reconnaissance de nos langues régionales, fierté de nos terroirs, composantes essentielles de notre identité régionale et nationale.

Je précise qu’avec mes collègues de la délégation française à l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe - certains sont présents -, je n’ai pas voté la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires ; il s’agit là d’un autre débat, qui ne doit pas être confondu avec la défense de notre patrimoine.

Que seraient l’Alsace sans l’alsacien, la Bretagne sans le breton, la Corse sans le corse ? La France deviendrait terne et triste, notre belle diversité une sombre uniformité, notre patchwork culturel un fast-food sans saveur.

L’amendement adopté lors du vote de la loi Fillon sur l’avenir de l’école, le 23 avril 2005, à l’initiative du rapporteur, notre excellent collègue Frédéric Reiss, pourrait servir de référence à la loi que nous appelons de nos vœux. Il précisait qu’« un enseignement de langues et cultures régionales peut être dispensé tout au long de la scolarité selon des modalités définies par voie de convention spécifique entre l’État et la région ou le département où ces langues sont en usage. Le recteur de l’académie concernée transmettra au Haut conseil de l’éducation un rapport annuel portant sur l’application de la convention et les résultats obtenus ».

L’histoire exige cette reconnaissance ; dans nos régions, nous l’avons compris depuis bien longtemps. Savez-vous qu’en Alsace, les écoliers de ma génération subissaient des punitions, parfois corporelles, lorsqu’ils parlaient alsacien - leur langue maternelle ? Voilà du reste pourquoi bon nombre d’entre nous se sont engagés en politique dans leur jeunesse.

Réveillons-nous ! Il est grand temps qu’après les collectivités locales, la nation tout entière reconnaisse l’irremplaçable apport de nos langues régionales à notre richesse nationale. Donnons à ces langues un nouvel élan, octroyons au ministre de l’Éducation nationale des moyens spécifiques à cette fin, soutenons les associations qui leur consacrent leur compétence depuis de longues années, car, Madame la ministre, chaque euro investi pour les langues régionales constitue un bon placement pour le rayonnement de la France ! En outre, depuis le serment de Strasbourg que je viens d’évoquer, ce camaïeu linguistique témoigne de l’enracinement historique de la France en Europe.

Après cette mise en bouche - si vous me permettez cette expression -, haut les cœurs ! Allons de l’avant ! Préparons ensemble le texte de la loi que nous appelons de nos vœux et dont nous espérons qu’elle sera prochainement discutée. L’histoire nous en sera reconnaissante ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Victorin Lurel - Je me réjouis des propos de celles et ceux qui m’ont précédé à la tribune et c’est avec émotion que je m’exprime à mon tour, quelques jours après les funérailles nationales du poète Aimé Césaire.

Ce chantre humaniste de la négritude, cet inlassable défenseur de l’identité nègre et martiniquaise, qui aimait lui-même à se définir comme un « homme de synthèse, de liaisons et de terminaisons », cet amoureux de la langue française qui sut conjuguer, dans son œuvre comme dans sa vie, universalité et « diversalité » - comme on dit en Caraïbe - n’eût pas manqué de nous exhorter ici même, avec sa verve incandescente et ses fulgurances essentielles, à ne pas laisser dépérir, voire mourir, des pans entiers de notre patrimoine linguistique national. Et, si j’invoque son ombre tutélaire, c’est que, lors de ce débat sur un élément important de notre identité, il eût assurément tenté de nous convaincre d’abandonner sans crainte l’idéologie linguistique d’écrasement, d’humiliation, d’abâtardissement des langues autres que le français, de cannibalisme langagier, de glottophagie recommencée.

Mes chers collègues, ce débat répond à la demande récurrente de générations de parlementaires qui s’entêtent à croire qu’en relayant l’ambition de défense des langues régionales, ils ne sombrent pas dans l’irrédentisme ni ne rejoignent l’anti-France. Non, en demandant avec obstination, depuis le décret Lakanal du 27 Brumaire an III, depuis le fameux article 11 de la déclaration des droits de l’homme du 26 août 1789, l’officialité, la co-officialité ou la quasi-officialité pour nos idiomes régionaux, nous ne défaisons pas la France, nous ne portons pas atteinte à l’unité ou à l’indivisibilité nationale !

Ainsi, la proposition de loi constitutionnelle cosignée par 203 députés du groupe socialiste et visant à libérer nos autres langues de France de la clandestinité, à les protéger et à leur accorder un statut constitutionnel, constitue la quatre-vingt-cinquième tentative depuis 1958 pour vaincre l’indifférence des gouvernants et des majorités parlementaires, pour surmonter la frayeur quasi métaphysique qui s’empare d’eux dès lors qu’il s’agit de toucher au monolinguisme. Cette fois, j’ai cru comprendre qu’un grand nombre de députés de droite seraient prêts à voter pour la reconnaissance, le respect et la promotion des langues régionales ; une majorité pourrait donc être réunie pour adopter cette réforme.

Madame la ministre, je vous exhorte à l’audace. Exorcisez enfin cette malédiction qui nous a toujours conduits à renoncer de peur d’ouvrir la boîte de Pandore ou de jouer l’apprenti sorcier déchaînant des forces qui échappent ensuite à sa maîtrise !

Aujourd’hui, les juristes le savent, toutes les conditions sont réunies pour donner un statut constitutionnel à nos langues sans porter atteinte à l’égalité des citoyens, à l’unité nationale et à l’indivisibilité de la République. On ne peut plus penser, comme le faisait le président Jacques Chirac, qu’il est parfaitement possible de reconnaître aux langues régionales leur place dans notre patrimoine culturel sans modifier la Constitution. Les lois Deixonne de 1951, Haby de 1975, Jospin de 1989 et Toubon de 1994 ne suffisent plus à garantir leur respect et leur développement. Pire, l’alinéa premier de l’article 2 de la Constitution - « la langue de la République est le français » - élaboré pour résister à la colonisation par l’anglais ne protège pas vraiment notre langue de cette redoutable concurrence, ainsi que le démontrent les décisions du Conseil Constitutionnel MURCEF, du 6 décembre 2001, et Accord de Londres relatif aux brevets européens du 28 septembre 2006. En revanche, cet article est devenu un verrou très efficace contre les langues régionales. À l’instar de ce qui est advenu de l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, destinée à l’origine à s’opposer à l’emploi du latin dans les domaines juridique et commercial, il se retourne contre les langues régionales et devient un formidable instrument de discrimination envers les langues de France autres que le français.

En vérité, tant que les langues régionales ne seront reconnues qu’au rang législatif et qu’elles n’auront pas droit de cité dans la Constitution, elles garderont leur indignité. Pourtant, la République a connu, sans drame, deux régimes de plurilinguisme, en Polynésie (de 1980 à 1995) et en Calédonie, où les vingt-huit langues canaques jouissent d’une protection constitutionnelle sans inconvénient pour l’unité de la République.

M. le Président - Monsieur Lurel, il faut conclure.

M. Victorin Lurel - J’aimerais vous donner une raison supplémentaire de mieux promouvoir nos langues et de ratifier la charte européenne des langues régionales ou minoritaires : cette revendication doit être admise sur la base des droits fondamentaux, le droit à la langue reconnu à chacun comme élément d’identité. C’est une autre version de l’individualisme possessif. Ce droit n’est pas reconnu à des minorités mais bien à des locuteurs. La France ne saurait continuer à traiter ses langues régionales de façon pire que la Turquie et refuser à ses citoyens d’utiliser, en public et en privé, la langue de leur terroir ou de leur choix. Enfin, il ne vous aura pas échappé que la France joue sa crédibilité internationale : elle ne peut décemment exiger à l’OMC et à l’UNESCO la reconnaissance de la diversité et la refuser chez elle.

Réhabiliter le plurilinguisme national ne revient en rien à un quelconque babélisme : c’est tout au contraire faire acte de tolérance et de progressisme. Nous attendons donc la modification de l’article 2 de la Constitution, ainsi qu’une loi pour la promotion des langues et cultures régionales de France. De l’audace, encore de l’audace ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

M. Daniel Mach - En cette année 2008, déclarée « année internationale des langues » par l’UNESCO, je souhaite vivement saluer l’initiative de ce débat. L’engagement pris envers les langues régionales a été tenu. Ce débat révèle l’intérêt que le Gouvernement accorde à la préservation de notre diversité linguistique et culturelle et je lui en suis extrêmement reconnaissant. Cette discussion, depuis longtemps sollicitée par les députés et par les associations qui œuvrent chaque jour en ce domaine, revêt un aspect absolument primordial pour certains départements, mais aussi pour le pays. La diversité, linguistique comme culturelle, est une grande richesse pour les individus et les sociétés. Sa préservation est un enjeu majeur pour l’humanité. La volonté de nos concitoyens d’être reconnus dans leur identité propre est indéniable. Il est donc crucial de permettre à nos langues de vivre et d’être pratiquées.

Cependant, des menaces existent, sournoises. À titre d’exemple, le remplacement de la télévision analogique par le système numérique risque de condamner la réception, dans les Pyrénées-Orientales, de TV3 et Canal 33, compromettant ainsi la promotion et l’usage du catalan. C’est de la survie de nos langues régionales que nous parlons ici. Aujourd’hui, porter les couleurs de sa région ne revient pas à se désolidariser de la nation mais au contraire à intégrer l’histoire locale dans le patrimoine national. Le sentiment d’appartenance régionale ne revendique pas une séparation, un refus de l’identité nationale, mais tout simplement le droit d’exister avec fierté et à revendiquer les couleurs de sa culture.

M. François Calvet - Tout à fait !

M. Daniel Mach - Dans de nombreuses régions, les langues locales ont souvent été interdites, ce qui a causé la perte de pans entiers de cultures riches en traditions et en histoire. Pour leurs habitants, perdre un peu de leur identité revient à perdre un peu de leur histoire. Il n’est nullement question de remettre en cause la suprématie du français, langue officielle de la République, mais il est urgent de trouver des solutions pérennes qui permettent à nos langues régionales d’être pratiquées, de se transmettre et de se développer.

La langue catalane présente une immense particularité et si la constitution d’un groupe d’études sur les langues régionales à l’Assemblée est une étape importante pour enfin considérer nos langues à leur juste valeur, je suis sincèrement scandalisé que l’on m’oblige à parler du catalan comme d’une langue régionale : il est parlé par près de 10 millions de personnes dans le monde !

M. Marc Le Fur - Très bien !

M. Daniel Mach - On ne peut pas continuer à gérer notre pays dans cet esprit parisianiste. Paris est parfois bien loin de la France ! Le catalan ne mérite ni indifférence, ni dédain. On ne peut pas considérer comme un patois la langue officielle de l’Andorre et de la Catalogne du sud. Le catalan est le socle de négociations internationales et européennes dans les domaines commercial, culturel ou économique. Dans les Pyrénées orientales, l’enseignement du catalan est un atout inestimable pour l’avenir professionnel de nos enfants, car il offre la possibilité d’intégrer le marché du travail extrêmement dynamique de la Catalogne du sud. Nos enfants peuvent avoir intérêt à envisager une carrière dans le nord de l’Espagne plutôt qu’au nord de l’Europe ! C’est là que les méthodes d’apprentissage en milieu scolarisé prennent toute leur envergure. Les enseignements bilingues à parité horaire ou en immersion sont les seuls moyens de s’imprégner totalement d’une langue. Il est temps de proposer aux parents une totale liberté de choix en ce domaine, car il s’agit de l’avenir de leurs enfants.

Depuis plus de trente ans, les organismes internationaux n’ont cessé de rappeler l’importance des langues dans le patrimoine de l’humanité et d’inciter les États à prendre des mesures pour assurer leur défense et leur développement. Le Président de la République a officiellement déclaré qu’un texte de loi reconnaissant l’importance des langues régionales et le rôle de l’Éducation nationale à cet égard permettrait d’assurer la protection juridique de ce patrimoine inestimable. De nombreux États ont déjà des législations reconnaissant cette diversité comme un atout remarquable pour leur développement économique, social et culturel. Si j’adhère totalement à ce débat au Parlement, auquel je participe avec satisfaction et fierté, je tiens à vous faire part de l’état d’esprit de mes concitoyens : les humiliations historiques ont été lourdes pour les Catalans. Le traité des Pyrénées, signé en 1659, a engendré des incompréhensions.

M. le Président - Il faut conclure, Monsieur Mach.

M. Daniel Mach - Les Catalans rejetés d’un côté de la frontière et intégrés de force ont connu les pires sentiments : trahison, incompréhension, rejet des deux côtés. Aujourd’hui encore, l’humiliation demeure à chaque tentative de l’État d’affaiblir leur patrimoine culturel et linguistique. L’État français devra tôt ou tard s’expliquer et prendre des mesures concrètes en faveur des langues régionales. Admettez, Monsieur le ministre, qu’il n’est pas normal que d’un département à l’autre, la défense des langues régionales n’ait pas les mêmes soutiens financiers ! Ne passons pas à côté de cette opportunité quasi historique de donner aux langues régionales toute leur place dans notre société.

Madame la ministre, Senyora, els Catalans... (l’orateur continue en catalan).

M. le Président - Monsieur Mach, on ne peut s’exprimer qu’en langue française dans cet hémicycle.

M. Daniel Mach - C’est vrai. Je vais donc traduire : les Catalans sont fiers, honnêtes et paisibles. Leur langue est un droit et ils savent où sont leurs devoirs (Vifs applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP et sur certains bancs du groupe SRC).

M. François de Rugy - On peut être surpris par l’organisation assez soudaine de ce débat. Quelles que soient ses motivations profondes, je m’en réjouis. Néanmoins, ce débat n’aura servi à rien s’il ne débouche pas sur une réforme constitutionnelle. Sans cela, ce ne sera qu’une discussion de plus qui maintiendra les langues régionales au niveau du folklore.

Lors de la réforme constitutionnelle préalable à la ratification du traité modifié de Lisbonne, plusieurs amendements avaient été déclarés hors sujet. Ils ne l’étaient pas, puisque la France n’a toujours pas ratifié la charte européenne des langues régionales. La question est d’ailleurs étroitement imbriquée avec celle de la construction européenne. Le prochain débat sur la réforme institutionnelle pourrait fournir l’occasion de faire avancer les choses, mais le projet soumis par le Gouvernement ne contient aucune proposition pour la reconnaissance des langues régionales. J’espère que le Parlement saura y remédier. En tout cas, notre débat devrait permettre d’envisager un consensus qui dépasse les groupes et les notions de gauche et de droite. J’espère d’ailleurs que les opposants à la reconnaissance des langues régionales, qui se trouvent sur tous les bancs, s’exprimeront aussi, car le débat sera plus sain si toutes les sensibilités sont représentées.

Et puisqu’il est question de réforme de nos institutions, tous les défenseurs des langues régionales et minoritaires pointent du doigt l’article 2 de notre Constitution, dont le premier alinéa énonce que la langue de la République est le français. L’éminent constitutionnaliste Guy Carcassonne qualifie cet alinéa d’incongru et estime qu’il n’apporte rien, si ce n’est qu’il alimente une demande reconventionnelle pour donner une existence de même type aux langues régionales. Car sans cet alinéa, il n’y aurait pas de problème ! Il ajoute que le constituant aurait pu aller jusqu’au bout de sa logique singulière, en inscrivant dans la Constitution que le territoire, l’histoire, la culture et la tradition de la République sont le territoire français, l’histoire de la France, la culture française et la tradition française - sans même parler d’une référence à la gastronomie française !

Quoi qu’il en soit, cette disposition est vécue non seulement comme un handicap, mais aussi comme un obstacle à la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. Guy Carcassonne indiquait que cet alinéa « n’était pas vraiment nocif jusqu’à ce que le Conseil constitutionnel l’invoque de manière excessivement rigide pour faire échec à la ratification de la Charte européenne, pourtant pas bien méchante. »

Cette phrase lapidaire, « la langue de la République est le français », n’est pas si anodine. À cause d’elle, la France a été obligée de refuser sa signature à certains éléments de conventions internationales qui prévoyaient la valorisation de la diversité linguistique, comme le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont l’article 27 stipule que « les minorités linguistiques ne peuvent être privées du droit d’employer leur propre langue », ou encore la Convention relative aux droits de l’enfant, qui prévoit, quant à elle, qu’« un enfant appartenant à une de ces minorités ne peut être privé du droit d’employer sa propre langue en commun avec les autres membres de son groupe ». Ces éléments ont été déclarés contraires à l’article 2 de la Constitution.

Une certaine conception de la République, étatiste et nationaliste, détourne le modèle républicain. Contrairement à ce que l’on dit parfois, la Révolution française ne s’est pas lancée, dès 1789, dans une politique d’éradication des langues régionales. Entre 1789 et 1792, la France a au contraire mené une politique de soutien et de promotion de ces langues, et ce n’est qu’ensuite que des décisions néfastes ont été prises.

Une certaine tradition républicaine voudrait que le citoyen français soit détaché de toute considération d’origine, de langue, de religion, défait de toutes ces caractéristiques contingentes pour être un bon élève, un bon électeur, un bon citoyen. On ne peut qu’approuver la nécessité de l’autonomie vis-à-vis de toute forme de dépendance. Mais c’est aussi fermer les yeux sur la réalité bien vivante des langues régionales. Dans toutes nos régions, métropolitaines ou ultramarines, il existe des dialectes, des langues régionales qui méritent d’être préservés et dont beaucoup aujourd’hui sont menacées d’extinction. Parler breton, par exemple, se perd de plus en plus.

De quoi avons-nous peur ? De quoi ont peur ceux qui défendent cette vision rigide, fermée de la Constitution ? Pourquoi ne défendons-nous pas ces langues régionales ? La France s’enorgueillit, parfois d’une façon quelque peu arrogante, d’être la patrie des droits de l’homme. Or selon la Déclaration universelle des droits de l’homme, « chacun peut se prévaloir de tous les droits et toutes les libertés proclamés dans la présente déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion ». Pourquoi les personnes ne parlant pas uniquement le français ne bénéficieraient-elles pas d’un égal accès à leur langue, d’un égal droit à l’apprendre, à la pratiquer, à la voir utilisée dans l’espace public ?

La France est attachée à son patrimoine culturel, gastronomique, géographique, à la diversité de ses paysages ; pourquoi néglige-t-elle son patrimoine linguistique ? Dans sa convention sur le patrimoine culturel universel, l’UNESCO définit la langue comme « le vecteur du patrimoine culturel immatériel ». C’est dire son importance !

La diversité linguistique fait partie du patrimoine de l’humanité, elle est une diversité culturelle, et il convient de lutter contre toute tentative d’uniformisation. La France lutte contre l’hégémonie de la langue anglaise au niveau mondial et le Gouvernement vient de nommer un nouveau secrétaire d’État à la francophonie : pourquoi n’agit-elle pas de même au niveau national ? Il est absurde que la France refuse de faire vivre en son sein ce qu’elle appelle de ses vœux dans le monde.

Je le dis d’autant plus fortement que je trouve tout aussi absurdes ceux qui, dans les régions, développent une façon de micro-nationalisme, tout aussi agressif que le nationalisme français, exclusif et débouchant sur le racisme ou la guerre. Nous n’avons aucun problème avec l’identité française. Nous nous sentons autant Français que Bretons, Européens ou citoyens du monde. Je suis moi-même Breton par mon père et Lorrain par ma mère ; ce sont deux régions avec une identité forte, dotées chacune d’une langue régionale, et qui se sentent pourtant pleinement françaises. Les Lorrains se sont battus et ont souffert dans leur chair pour être pleinement intégrés à la France, alors qu’ils parlent, au moins en Moselle, un dialecte proche de l’allemand. C’est dire si le sentiment d’appartenance à la France n’est absolument pas menacé par les langues régionales.

Bien au contraire, le sentiment d’appartenance multiple est le meilleur antidote au racisme et à la peur de l’ouverture sur le monde. Alors que la mondialisation fait peur, souvent à juste titre car elle laisse craindre une uniformisation, une disparition de la diversité culturelle et linguistique, un terrible appauvrissement, qui ne pourrait susciter en retour qu’une crispation nationaliste, ma conviction est que l’on est d’autant plus disposé à s’ouvrir sur le monde que l’on est au clair sur ce que l’on est et d’où l’on vient. Les langues régionales y contribuent.

Il faut aujourd’hui faire preuve de volontarisme, car nous revenons de loin. Durant des décennies a été menée en France une politique d’éradication des langues régionales. En Bretagne, on pouvait lire dans les cours des écoles, à une certaine époque : « Il est interdit de cracher par terre et de parler breton. » Cette politique a conduit à la quasi-disparition d’un certain nombre de parlers régionaux.

En même temps, des exceptions ont été concédées. La Corse fait bien partie de la République française, et pourtant la langue corse bénéficie d’un traitement spécial. La loi du 22 janvier 2002 nous apprend que « la langue corse est une matière enseignée dans le cadre de l’horaire normal des écoles maternelles et primaires ».

Mme Marylise Lebranchu et M. Alain Rousset - Très bien !

M. François de Rugy - L’Assemblée de Corse adopte un plan de développement de l’enseignement de la langue corse et conclut avec l’État une convention pour sa mise en œuvre, incluant la formation initiale et continue des enseignants. Et le résultat est probant : 46 écoles offrent un enseignement bilingue à près de 3 000 élèves, soit 13 % des enfants corses ; 92,64 % des élèves du primaire étudient la langue corse, dont 27,7 % à raison de trois heures hebdomadaires ou plus ; 68,87 % des élèves de sixième sont inscrits en langue corse. Malheureusement, le sort des autres langues régionales n’est en rien comparable.

Il est temps que la France assume ses racines, sa culture, sa richesse linguistique. Nous prenons rendez-vous pour les débats à venir. Kenavo ! (Applaudissements sur divers bancs)

Mme Marylise Lebranchu - Ar wech all !

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois - Je suis venu apporter mon soutien à l’ensemble de nos collègues qui pensent que les langues régionales sont un atout pour notre pays et doivent être préservées, transmises et valorisées. Je remercie le Gouvernement d’avoir organisé ce débat, qui va nous faire sortir de l’impasse dans laquelle on voulait nous enserrer depuis un certain nombre d’années et qui consiste à dire que la seule solution pour sauvegarder les langues régionales serait de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, signée à Budapest en 1989. C’est une profonde erreur, car la ratification, comme l’a indiqué le Conseil constitutionnel le 15 juin 1999, poserait de nombreux problèmes pour notre pays.

La Charte obligerait la France à encourager, dans sa législation, « l’usage oral ou écrit des langues régionales ou minoritaires dans la vie publique », ce qui est contraire à l’article 2 de notre Constitution, qui prévoit que « la langue de la République est le français ».

En second lieu, la Charte remet en cause trois principes constitutionnels : l’indivisibilité de la République, l’égalité des citoyens devant la loi et l’unicité du peuple français, puisqu’elle confère des « droits spécifiques à des groupes de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l’intérieur de territoires dans lesquels ces langues sont pratiquées », alors que ces trois principes interdisent la reconnaissance de « droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d’origine, de culture, de langue ou de croyance ». C’est ce que le juge constitutionnel a rappelé.

Parmi les 39 mesures qui avaient été sélectionnées par notre pays pour ratifier cet outil, un certain nombre poserait une multitude de problèmes : la France serait tenue de traduire dans l’ensemble des langues régionales les lois les plus importantes, de développer la traduction, le doublage et le sous-titrage en langue locale d’« œuvres produites dans d’autres langues », de traduire les « informations fournies par les autorités compétentes concernant les droits des consommateurs ». Ceci est une fausse voie ; la ratification de la Charte ne me semble pas constitutionnellement possible.

La politique de l’État en direction des langues régionales doit passer à une nouvelle étape : il s’agit de prendre des mesures à droit constant pour entretenir et valoriser ce patrimoine, des mesures culturelles assorties de moyens. Car ces langues sont incontestablement une partie de notre patrimoine, de nos origines, de nos valeurs. Je me tourne donc vers le Gouvernement : il faut, Madame la ministre, que vous affirmiez cette volonté, en sortant des faux-fuyants du débat juridique, pour mener des actions concrètes. Nombreux sont ceux dans la majorité qui souhaitent que le Gouvernement soit extrêmement actif en ce domaine. La majorité est extrêmement attachée à la sauvegarde des traditions et de la culture de notre pays, dont les langues régionales de France font partie. Puisse le Gouvernement se montrer actif et innovant dans ce domaine. Je lui apporte tout mon soutien sur cette voie (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

M. Robert Lecou - Je veux remercier le Gouvernement qui a tenu son engagement d’organiser un débat sur les langues régionales en ce lieu si symbolique de la nation française. Ce débat est une façon de reconnaître, une fois encore, que la diversité est source de richesse.

De Villers-Cotterêts, de 1792, de la guerre de 1914-1918 à aujourd’hui, la France a forgé son unité. Elle doit aujourd’hui continuer à affirmer son identité. La langue française doit rester la langue de la diplomatie et des Jeux olympiques ; la France des Lumières doit demeurer une référence en matière de droits de l’homme ; la francophonie doit vivre et amplifier encore le rayonnement de la France.

C’est dans cet esprit que nous avons créé, au début de la XIIe législature, un groupe de travail sur la diversité culturelle en Europe, qui a œuvré en partenariat avec son homologue allemand. Nous sommes unis par le refus de la domination sans partage d’une seule culture, d’un seul mode de vie et d’une seule langue. Il faut construire l’Europe sans nier nos identités respectives. C’est cela, l’Europe de la diversité dont un monde ouvert a besoin.

Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’indiquer dans cet hémicycle, je dis « oui » à l’Europe de la diversité culturelle, et « oui » à l’occitan, c’est-à-dire « oui » à la richesse culturelle de la France. Les langues régionales, qui ont fondé notre langue française, participent à la diversité de notre pays et donc à sa richesse.

Nous pouvons sans inquiétude faire preuve d’audace, car l’unité de notre pays n’est pas en cause. Faisons preuve de confiance en redonnant à nos langues toute leur place. Avec nos cultures régionales, elles font partie du patrimoine de l’humanité. Donnons-leur les moyens de vivre en défaisant les blocages juridiques actuels. Comme l’a préconisé le président de la commission des affaires culturelles, il faut que l’article 2 de la Constitution fasse mention du respect des langues régionales ; il faut également ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, tout en légiférant en matière d’enseignement, de médias et de création culturelle. Nous soutiendrons ainsi nos belles langues régionales, qui forment nos racines et dont la connaissance favorise l’apprentissage des langues étrangères, voire les mathématiques. Chacun connaît l’essor des calendrettes, des radios associatives, ou encore du théâtre de la Rampe.

Puissions-nous placer nos pas dans ceux du général de Gaulle, qui reconnaissait lui-même que la construction de l’unité française était achevée et qu’il fallait désormais laisser s’exprimer les énergies locales. Comme l’a également demandé Nicolas Sarkozy, nous devons réfléchir à des mesures concrètes tendant à sécuriser définitivement la place des langues régionales de France. Elles sont notre patrimoine et notre richesse (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Marylise Lebranchu - J’espère que vous allez reprendre la parole, Madame la ministre, car nous attendons toujours des mesures précises, un amendement à la Constitution, et une loi...

Le président Warsmann estime qu’il n’est pas nécessaire de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, ni de modifier la Constitution. Or, je rappelle que la loi permettant l’enseignement en langue régionale, notamment dans les écoles Diwan, avait été censurée par le Conseil constitutionnel. Il serait frustrant et humiliant que toute loi nouvelle sur les langues régionales reste condamnée d’avance. Il faut y prendre garde, car l’humiliation conduit à la violence.

Procédons plutôt par ordre : nous avons besoin d’une révision de la Constitution, puis de textes législatifs précis. Sans cela, l’expérimentation aujourd’hui proposée par le président du conseil régional de Bretagne, par exemple, risque fort d’être inconstitutionnelle.

Cette révision de la Constitution, nous la demandons depuis longtemps. Il est vrai que la rédaction actuelle de l’article 2 a été adoptée par une majorité de gauche. Mais il s’agissait de protéger le français contre la montée en puissance de la langue anglaise, notamment en matière de propriété intellectuelle. L’usage de l’anglais étant un facteur de prédominance du droit anglo-saxon, nous avions souhaité rappeler que le français est la langue de la République.

La ministre a indiqué à juste titre qu’il s’agit d’une langue « commune », et non d’une langue unique. C’est une question de culture, de patrimoine et d’identité. La République n’est pas en danger quand on parle, ici ou là, une autre langue que le français, quand les Catalans français parlent avec des Catalans espagnols, ou quand des enfants sont immergés dans un univers bilingue. Lorsque des enfants apprennent deux langues dès le plus jeune âge, ils peuvent en apprendre bien plus facilement d’autres : ils sont ainsi des citoyens de France, mais aussi d’Europe et du monde.

Il serait bien archaïque d’en rester à notre conception actuelle d’une République une et indivisible, et il serait tout aussi archaïque d’interdire à nos concitoyens de s’exprimer dans une langue régionale. Pensons à Aimé Césaire ! Toute personne qui a reçu en héritage une langue a le devoir de ne pas y renoncer. De la même façon, un pays qui a la chance d’avoir autant de langues sur son territoire que le nôtre, tout en jouissant d’une véritable unité, a le devoir de réviser sa Constitution afin que ses lois puissent donner aux langues régionales les moyens de vivre. Ces langues sont un merveilleux patrimoine. Ce sont les mots qui font les personnes et les échanges (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et quelques bancs du groupe UMP).

M. Camille de Rocca Serra - Je remercie le Premier ministre d’avoir tenu son engagement et me réjouis de l’organisation de ce débat en préalable à la révision constitutionnelle qui doit bientôt venir en discussion.

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